VIEUX PARKINGE

 


De l'autre côté de mon mur l'était un vieux parkinge. L'était, eh oui, l'est plus. Adieu vieux parkinge.

Au beau milieu de la grande ville, il prenait beaucoup de place, toute la place entre la rue au Sud et la rue au Nord, juste derrière la Bastille.

C'était pas un truc en béton avec des rampes en béton et des tas de sous-sol en béton où les dames ont peur et aussi les types d'ailleurs.

C'était un endroit où ça valait le coup de se promener, en plus d'y garer la bagnole. Moi je m'y baladais, pourtant j'ai pas de bagnole à garer. Les gardiens étaient pas du genre à vous aboyer dessus.

Est-ce qu'il y avait trois ou quatre bâtiments ? Déjà je ne sais plus. Un dédale de passages et de bouts de chemins, des accès compliqués. Quand il pleuvait, tout le lieu virait au gris avec des coulées noires, une atmosphère de polar lourd avec Gabin et Ventura qui démarrent la Simca sans regarder personne. Un décor pour Georges Simenon qui raconte des histoires de gens qui voudraient partir mais qui restent là.

Il y avait des parois de briques toutes râpées et de grands crépis vermoulus. Des murs de rêves éveillés, avec lambeaux de dragons, continents dérivés et jungles vraiment vierges.

Et pardessus tout ça comme dit la chanson, de vastes verrières, vous auriez vu cette beauté. En levant le nez le soleil vous tombait droit dans l'oeil ou alors les rafales de pluie brouillaient le ciel comme une aquarelle en crue.

En y mettant le temps, on tombait sur des tas de recoins où nichaient des bidules qui ne servent plus, des bouts de tuyaux, des bidons cabossés, des bâches pourries.

Bon, c'est vrai, il y avait aussi des voitures, c'était un parkinge après tout. Mais elles avaient tendance à se faire un peu oublier, les bagnoles, le lieu était beaucoup plus costaud qu'elles.

Donc c'était plein de place perdue. Tous les gamins du quartier auraient pu taper dans le ballon, jouer aux cowboys et à cache-cache. Tous les apprentis amoureux aurait pu s'y donner des rendez-vous bien cachés, sans doute qu'ils le faisaient. Finalement, c'était un des endroits les plus luxueux de Paris, si on réfléchit bien.

Alors, il y en a qui ont bien réfléchi. Un jour une grande pancarte bleue est apparue : "A vendre 110 beaux appartements neufs sur de vastes cours paysagères". Voilà, c'était la fin, j'ai attrapé mon appareil de photo, je suis allée voir les gardiens du parkinge, ils étaient déjà résignés au départ. J'ai pris quelques clichés, flâné dans la poésie du vieux parkinge.

Maintenant c'est un gros chantier, seule la façade sur rue sera conservée. Les futurs 110 appartements ont été vendus en trois mois à 13'000 euros le mètre carré. Ce sera beau et très smart, les petits balcons s'appelleront des terrasses et l'ensemble se nomme Cour Saint-Louis, ça vous a une autre gueule que vieux parkinge.

Adieu Lino, adieu Jean et Georges, vieux fantômes, allez rôder ailleurs, si vous le pouvez.


      


     


         


        


    

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