Pépé le Moko


C'est grâce à Rosita (cf billet de blog en avril) que je me suis souvenue de Pépé le Moko, perroquet également, décédé depuis trois décennies, paix à ses plumes. Comment avais-je pu l'oublier, ou du moins, l'égarer dans le galetas empoussiéré de ma mémoire ?

In Memoriam.

La scène se passe à Katmandou, au marché de bon matin. Parmi toutes les scènes dont Katmandou régalait le visiteur en ces temps lointains où le touriste était rare, routard et allumé dès potron-minet, en ces temps révolus où l'air de Katmandou était d'une pureté incomparable et les népalais bien peinards dans leur coin haut perché, parmi toutes les scènes de ce marché, dis-je, il y avait un vendeur de perroquets.

Il ne s'agissait pas de perroquets majestueux comme Rosita, mais de modestes emplumés locaux. Il y en avait une petite vingtaine, perchés sur des barres de bois, entravés par de courtes chaînes. Nous avons tenté de leur faire répéter des grossièretés pendant que le marchand s'employait à nous refiler un des plus beaux. Acheter un perroquet ? Hors de question, bien entendu.

Et puis, tout seul dans une des cages, un pauvre specimen, de même race que ses congénères, mais dégarni, rachitique sous la plume terne et mitée, misérable pour tout dire. "Et lui alors, pourquoi il reste enfermé ?"  avons-nous demandé, le coeur attendri. " Vely old, no good" a répondu le marchand "You don't take this one bad, you take this nice here".

Vous avez compris la suite. Le marchand nous a fait payer quelques roupies pour la petite cage et rien pour le perroquet. Il nous a regardé comme des martiens (le marchand, pas le perroquet). De retour dans notre chambre d'hôtel, un de ces bouibouis sympas où on se moque bien que vous rameniez un pensionnaire à plume, à poil ou à vapeur, nous avons fait connaissance avec....Pépé le Moko. Le choix de ce prénom n'avait rien à voir avec Jean Gabin mais bien avec l'ancienneté de l'oiseau et une certaine parenté sonore avec le langage présumé des perroquets. Il a becqueté quelques graines en prenant son temps. Nous l'avons sorti de sa cage et il s'est illico perché su le dossier de la chaise.

Maintenant que nous avions charge d'âme, comment procéder ? Un bref conciliabule conclut à une stratégie " liberté et proximité" : fini la cage, l'oiseau nous accompagnerait partout, perché sur nos épaules, il serait nourri selon ses goûts et s'il prenait son envol vers la liberté, ma foi tant pis ou tant mieux. A la fin du séjour nous trouverions quelque baba cool charitable pour prendre le relais.

Pépé le Moko était loin d'être un imbécile et il avait l'expérience d'une longue vie. A partir de ce jour il ne nous a pas lâché d'une serre, si j'ose dire. Il s'est perché comme prévu sur notre épaule, tantôt de l'un tantôt de l'autre. Jamais il ne s'éloigna. Au bistrot, il s'installait commodément sur la table. Il avait l'air enchanté de tout. On lui donnait à goûter sur un doigt ce qui pouvait lui convenir et on le laissait choisir.

Pour la conversation ce fut moins commode. Il semblait très content de notre français mais nous n'en tirâmes pas le moindre son, à part d'incertains borborygmes roucoulés à l'oreille pendant la promenade.

Son repas favori était incontestablement le petit-déjeuner. C'est peu dire qu'il prenait des forces pour la journée. Nous avions déniché une gargotte qui servait des petits-déj à l'européenne, des pâtisseries germaniques, du pain français, de la confiture et... une sorte de gruyère délicieux.

Pépé le Moko revivait. C'était plaisir que de le voir tout requinqué, presque dodu, tonique et joyeux compagnon. Nous l'aimions bien fort. La nuit il dormait sur le dossier de la chaise et fientait innocemment, personne n'est parfait.

Par une matinée de clair soleil, peu de temps avant notre départ, nous nous sommes installés dans notre bistrot favori. Pépé le Moko s'est empiffré goulûment des restes de l'apfelstrudel. Puis il a attendu, l'oeil brillant, de voir s'il resterait du gruyère. Nous lui en avons laissé un joli morceau et comme d'habitude il a attaqué sa part avec exaltation. Et puis soudain son oeil s'est figé, il a doucement oscillé sur ses pattes et il a basculé d'un seul coup sur la table. Mort.

C'est au bord de la rivière que nous avons enterré Pépé le Moko, dans une boîte en carton garnie d'un joli chiffon. Nous lui avons souhaité bon vent dans le ciel sans nuage, en route pour le paradis des perroquets.

 

(novembre 2011)

 

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